Client : Ville de Liège
Adresse : Rue Morinval et rue des Steppes à Liège
Surface : 4000 m2
Cout : 500000Ç
Livraison : 2011 et 2014
En association avec l’Atelier d’Architecture Alain Richart pour l’étude faisabilité et l’aménagement de la salle polyvalante
Projet sélectionné dans les 28 projets phares de l’Inventaire #2 de l’Architecture en Communauté Wallonie Bruxelles 2013-2016
Photos de Maud Faivre
Le quartier
Le projet d’aménagement de l’espace Quatre Tourettes est un projet d’espace public situé à Liège dans le quartier Saint Léonard, en première couronne périphérique. Ce quartier anciennement occupé par la petite industrie métallurgique s’est vu progressivement vidé de son activité économique ; de nombreuses opérations de logement y ont vu le jour ces dernières décennies et ce tissu bâti, très dense, tente de retrouver un nouveau souffle. Le manque d’espaces verts ouverts au public se fait sentir.
Dans ce cadre, la Ville de Liège a proposé ce projet de valorisation d’un terrain situé en bordure d’une école et se prolongeant à l’intérieur d’un îlot de logement, ancien jardin privé où subsistent quelques beaux grands arbres ; le but étant de proposer une espace public de rencontre et de jeux gérant aussi l’interface avec les cours de récréation de l’école voisine, un jardin et une salle de quartier.
Le projet s’est concrétisé en deux temps : d’abord par le développement d’une étude de faisabilité (ou schéma directeur) permettant de vérifier la possibilité de reconstruire quelques logements sur le site en plus du programme d’espace public et de salle polyvalente (et définissant les implantations et gabarits idéaux); ensuite par l’étude d’aménagement de l’espace public et de la salle
L’aménagement de l’espace public
Le projet des Quatre Tourettes est à l’interface entre des équipements publics et communautaires (une école, une salle polyvalente) et un quartier de logement à revaloriser. L’espace vide disponible est restructuré en différents sous-espaces à vocations particulières, et un travail fin est réalisé sur la notion de limite ou d’articulation, de manière à ce que la lecture globale du lieu continue d’être possible et que chaque usage soit permis dans le respect des autres et dans la convivialité.
Le travail sur la topographie a permis de gérer des pentes douces pour les usagers lents tout en articulant des espaces hauts (esplanade ouverte, aire de sport, sortie d’école) et des espaces bas (jardin public fermé la nuit).
C’est l’observation fine des populations locales, de leur comportement dans les espaces publics périphériques et de leurs besoins de rencontre et d’échange qui ont débouché sur les propositions de projet. Des réunions préalables avec les acteurs et groupes locaux, école, comités, habitants et gestionnaires ont orienté la réflexion. Il s’agissait de sentir, au travers du projet, les synergies souhaitées, les relations à tisser, comme autant de moments de vie d’un quartier, comme l’expression d’une intime conviction que l’échange et la rencontre sont les raisons d’être de l’espace public.
En pratique, les limites physiques existent mais sont transparentes, les ruptures de niveau sont adoucies et l’accessibilité des usagers lents est privilégiée, l’école retrouve un parvis libéré de l’automobile et les cours de récréation sont à nouveau en contact avec la végétation du jardin. Les surfaces sont perméables, les eaux de ruissèlement sont reprises dans un bassin à l’air libre, les espaces privilégient la convivialité, le tout dans le respect du budget, et en accord avec les attentes des futurs occupants.
Démarche participative
Afin que le projet corresponde au mieux aux attentes de ses utilisateurs potentiels, une grande énergie est mise à entendre et analyser les souhaits des responsables administratifs et des équipes amenées à gérer le projet une fois livré, à découvrir le tissu social sous-jacent au site et à comprendre le contexte socio-culturel qui sera le terreau du futur projet. Cette analyse passe entre autre par la rencontre du tissu associatif, mais aussi par la mise en place de procédures de participation et de consultation (récolte d’avis, d’attentes, d’impressions) dans les écoles, le quartier, via l’organisation de rencontres que nous animons sur base d’une série de thématiques liées au site. L’important est de découvrir comment les riverains perçoivent leurs espaces publics, ce qu’ils en attendent, ce qui les inquiète, mais aussi de les tenir informés de l’évolution du projet, et d’expliquer comment se sont fait les choix et ont été prises les options du projet.
« Le parc des Quatre Tourettes, révéler la beauté …
Le parc des Quatre Tourettes se développe en deux entités finement articulées au niveau du petit équipement public : à rue, une place minérale dont l’esthétique se réfère clairement au caractère postindustriel des lieux dessine un parvis devant l’école ; plus intime et secret, un jardin peuplé de beaux arbres qui faisaient jadis parties de propriétés sises rue Saint-Léonard, se love en arrière-plan.
Le parvis de l’école, une interface avec le quartier
Le parc s’inscrit dans la trame urbaine en tissant des liens de diverses natures. D’abord, la configuration en entonnoir de la place oriente le regard vers le terril boisé qui se profile en arrière-plan et met ainsi le lieu en relation avec le grand paysage. Ensuite, l’espace public créé prolonge et renforce le petit pôle de quartier qui rassemble quelques commerces aux abords de l’école, dessinant une centralité encore hésitante.
L’inscription fine du parc dans le quartier, tant au niveau des liens physiques que des usages, se manifeste aussi, voire surtout, dans son articulation à l’école primaire et maternelle de Morinval qui le jouxte. Précédemment, on accédait à celle-ci par une ruelle étriquée et assez sombre tandis qu’à l’arrière, la cour de récréation était limitée par un ensemble désorganisé de murs et de petits volumes opaques qui la refermaient totalement sur elle-même, interdisant toute relation avec son environnement. Les auteurs de projet inversèrent le fonctionnement en ouvrant la cour sur la nouvelle place et en organisant l’entrée de l’établissement à partir de celle-ci. Cet espace est ainsi devenu un parvis lumineux où les parents s’attardent et « font des arrangements », où les enfants jouent « encore un peu » après les cours, un endroit qui constitue désormais un réel vecteur de vie sociale.
L’ouverture se matérialise par différents dispositifs architecturaux. Le désordre de murs hérité des aléas de l’histoire urbaine a été remplacé par une grille légère percée de trois portes opaques recouvertes d’images réalisées par le photographe François Struzik avec les habitants. Le mur devient grille et la grille devient mur, inversant le modèle de référence classique. Parvis et cour s’inscrivent en continuité visuelle. Cette transparence est appuyée par le revêtement de sol – des dalles industrielles en béton préfabriqué – qui se prolonge en ignorant la limite imposée par la grille. Le désenclavement de la cour de l’école a en outre dévoilé les beaux arbres qui s’y trouvent ; le paysage vert du jardin se termine en pointillés dans la cour de l’école…
Le jardin, un havre
Si le parvis est un lieu urbain animé caractérisé par le mouvement, l’ambiance du jardin est de toute autre nature. Celui-ci se laisse deviner plutôt qu’il ne s’impose. Accessible par une porte au fond de la place, il se déploie derrière le nouvel immeuble de 15 logements construit à front de voirie. Le parvis étant aménagé sur un remblai, l’espace vert s’étend légèrement en contrebas et est accessible par une rampe en pente douce. Actuellement en cul-de-sac, il devrait être directement connecté à la rue Saint-Léonard lorsque la conciergerie de l’école ne sera plus en service et pourra alors être démolie.
Plusieurs filtres garantissent l’intimité et la paix du jardin en le protégeant de la rue, large et assez passante. D’abord, conformément aux recommandations énoncées dans l’étude de faisabilité, l’immeuble à appartements s’élève sur des pilotis à travers lesquels l’espace vert se devine. Ensuite, un fossé permettant l’infiltration des eaux de toiture des logements sépare l’immeuble du jardin, matérialisant un second filtre, plus physique que visuel. Enfin, un magnifique hêtre pourpre à côté de l’immeuble crée un écran naturel.
Les plus beaux arbres présents, vestiges majestueux d’un jardin d’agrément initialement lié à un hôtel de maître du 19ième siècle situé rue Saint-Léonard, ont été élagués afin de révéler leur charpente. La végétation spontanée plus récente a, elle, été abattue afin de retrouver la composition originale. Arbres de Judée, érables au feuillage panaché, Ginkgo biloba, noyers et autres specimens remarquables dégagent une clairière au cœur du site où s’implantent, dans l’herbe tondue, bancs et modules de jeux en rondins de bois.
Beaucoup avec peu
Le projet est d’une grande simplicité ; sa qualité spatiale se fonde d’abord sur la force et la beauté de l’existant. Ainsi, les silhouettes sculpturales des arbres maintenus suffisent à qualifier l’espace. Elles dessinent une clairière lumineuse et des lieux ombragés, un espace de jeux ouverts et des recoins plus intimes. Fruits, fleurs, feuilles transforment le lieu au fil des saisons… Le large pignon qui borde le jardin est mis en scène ; il semble poser sur lui un regard bienveillant et rassurant. L’aménagement révèle toute sa majesté. La différence de niveau entre le parvis et le jardin est utilisée pour renforcer le caractère propre de chaque espace. En tirant profit de ce qui existe, le projet évite les gesticulations esthétiques, les symbolisations bavardes, les accessoires rapidement démodés.
Au-delà de la commande
Au-delà de la qualité du projet lui-même, ce qui interpelle ici, c’est la manière dont les paysagistes se sont réapproprié la commande pour la faire évoluer, en dialogue étroit avec le maître d’ouvrage, les acteurs et habitants. Le cahier des charges prévoyait en effet l’aménagement d’un espace vert unique que les concepteurs ont proposé de diviser pour créer un espace public à part entière qui renforce le pôle central de Morinval et donne un nouveau visage à l’école. Alors que, conformément à la volonté de la Ville, la partie « jardin » ferme au coucher du soleil, la place est, elle, accessible à toute heure. Le choix opéré par les auteurs de projet de diviser le lieu en deux parties de caractère différent multiplie ainsi les appropriations possibles, dans le temps comme dans l’espace.
Le choix d’un aménagement d’une grande sobriété pour le jardin a permis d’assumer les surcoûts liés à la création du parvis et au travail sur les limites de l’école sans jamais compromettre la qualité.
Virginie Pigeon et Sébastien Ochej ont, avec la complicité du maître d’ouvrage, reformulé la question qui leur était posée, assumant ainsi pleinement leur responsabilité d’auteurs de projet. »
Sophie Dawance
Extrait d’ « Architectures Wallonie-Bruxelles/ Inventaires #2 2013-2016 », sous la direction de A-S. Noittebaert et X. Lelion